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Maxime Bonneau : Comment les monnaies locales réhabilitent le multiplicateur keynésien

The Conversation

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Au Pays basque, quelque 850 000 euskos sont en circulation. Euskalmoneta.org

Maxime Bonneau, Burgundy School of Business

Le grand débat national propose de choisir les postes de dépense publique à réduire en priorité. Pourtant, certains économistes et organisations voient dans cette même dépense des effets bénéfiques pour l’économie. Nous contribuons au débat sur ce sujet à travers l’exemple des monnaies locales.

Au fondement des justifications de l’intervention étatique, John Maynard Keynes avance qu’une relance par la dépense publique impacterait positivement la production, et donc la croissance. C’est ce que les économistes appellent l’effet multiplicateur de la relance discrétionnaire. L’idée du multiplicateur est très simple. En 1936, l’économiste britannique expose dans sa Théorie Générale que, pour 100 unités de dépense publique investies dans l’économie, le gain total résultant de cet investissement serait de 500 unités. En d’autres termes, on multiplierait par 5 le gain associé à l’investissement initié par l’État, qui viendrait en complément de l’investissement privé.

Il y a pourtant plusieurs limites à cet effet multiplicateur, que les économistes libéraux ont mises en avant. L’effet d’éviction est un des principaux freins à l’établissement d’une relance budgétaire. Ce concept traduit le fait que la relance provenant des pouvoirs publics réduit l’investissement privé. Un autre frein est une ouverture de l’économie à une concurrence qui pèse sur les entreprises en place, qualifiée de « contrainte extérieure ».

L’effet multiplicateur serait donc, selon les auteurs qui émettent ces controverses, à relativiser : étant donné les multiples fuites du circuit économique, il apparaît plus comme un effet additionnel (une relance de 100 augmente la production de 100) que multiplicateur (une relance de 100 augmente la production de 500).

 Dynamiser l’économie locale

De leur côté, les monnaies locales ont permis d’apporter une réponse complémentaire à la demande des consommateurs de « consommer mieux » en favorisant l’économie de proximité. Elles se sont développées en parallèle des monnaies nationales pour pallier aux carences des institutions monétaires en place, garantes d’un système dans lequel seules 4 % des transactions servent à financer l’appareil de production pour l’économie réelle. Associées à une dépense publique orientée vers des projets sociaux et environnementaux ambitieux, elles constituent une des pistes alternatives de projet de société pérenne et solidaire.

Au Pays basque, les consommateurs sont invités à payer en euskos. Daniel Villafruela, CC BY

C’est particulièrement le cas au Pays basque (partie française) qui compte 850 000 euskos en circulation pour 700 commerçants et 3 000 consommateurs ; c’est également le cas de la gonette à Lyon avec 120 000 unités qui irriguent 270 commerçants et 1 600 particuliers. Ces monnaies se sont développées avec le souci de « ralentir l’hémorragie financière » en évitant la fuite d’euros hors du circuit local, et ainsi « renforcer la résilience et dynamiser l’économie » de la zone. Il existe une multitude de monnaies locales, et celles-ci convergent dans leur esprit émancipateur et dans leurs pratiques au travers d’un manifeste et d’une charte.

Le principe est simple : c’est une monnaie complémentaire à l’euro qui va permettre d’acheter des biens et services auprès de commerçants, agréés par l’association qui gère la monnaie locale. À Lyon, une adhésion est nécessaire de 12 euros par an, puis un échange euros contre gonettes est effectué, selon une parité de 1 pour 1. Les commerçants sont dans la ville, la consommation reste donc locale. Ainsi, il est possible de payer un produit coûtant 4,5 euros avec 4 gonettes et 50 centimes d’euros.

Animation de promotion et de pédagogie autour de la gonette lyonnaise (YouTube).

Toutefois, le commerçant ne peut pas rendre des euros si on le paie en gonettes. On ne peut pas échanger des gonettes contre des euros non plus, car cela a été interdit par l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, institution intégrée à la Banque de France).

 Révolution écologique par la dépense publique

Les avantages des monnaies locales tiennent dans leur capacité à s’accommoder des contre-arguments libéraux précités. Premièrement, une monnaie locale n’a pas d’effet sur la demande de monnaie principale ou très peu, ce qui réduit ou annihile l’effet d’éviction. Effectivement, une monnaie locale s’échange contre une monnaie nationale. Il n’y a pas de demande en plus, il n’y a donc pas d’impact sur les taux d’intérêt. Si l’État choisit de dépenser en plus, donc d’investir sur une zone en particulier, la demande de monnaie restera trop faible pour impacter les taux.

Deuxièmement, l’économie se « referme ». On se limite aux producteurs et commerçants locaux qui sont agréés, ce qui réduit la déperdition du multiplicateur liée au fait que l’euro peut être utilisé dans le monde entier. Enfin, dans sa version maximale, la monnaie locale a une date de péremption. À partir d’une certaine date, elle perd tout ou partie de sa valeur. Ce qui implique que la monnaie en question ne peut être thésaurisée (gardée sur le compte bancaire ou sous le matelas). Par ce biais, on augmente donc la consommation et ainsi l’efficacité du multiplicateur.

La monnaie locale s’analyse ainsi comme une réhabilitation du multiplicateur dans un environnement restreint et local. Elle permet de relancer l’économie d’une zone en particulier (la région par exemple) et d’orienter la production vers des projets éthiques et écologiques, à travers des incitations et des procédures d’agrément, qui restent toutefois à renforcer aujourd’hui. Au lieu de proposer une réduction ciblée des dépenses, le débat national pourrait déboucher sur une révolution écologique par la dépense publique. Cela permettrait une création d’emploi d’envergure vers des activités dont nous avons plus que jamais besoin.

Maxime Bonneau, Phd Student at Middlesex University, Burgundy School of Business

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par Bonneau Maxime

Publié le lundi 18 février 2019

Mis à jour le lundi 18 février 2019

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